Interview de Julien Vidal, auteur de Ça commence par moi : quelle place pour le numérique dans le futur utopiste des 2030 glorieuses ?

Entraînés dans une spirale d’innovations technologiques et d’urgences écologiques, il nous arrive rarement de lever la tête pour regarder l’avenir et imaginer des futurs souhaitables, ainsi que la place que nous accordons au numérique dans ces imaginaires. 

Julien Vidal nous invite à libérer nos imaginaires. Après un début de carrière dans des ONG en Colombie et aux Philippines, il constate que son travail ne fait que traiter les conséquences d’un monde dépassé, qu’il ne vient pas traiter les causes du problème. De retour en France en 2017, il s’attelle à réduire les fracas environnementaux et sociaux provoqués par nos sociétés tout en essayant de proposer des alternatives. Ce projet aboutit par la publication de son premier ouvrage, Ça commence par moi, qui encourage un passage à l’action ambitieux et rayonnant, qui mêle écologie intérieure et extérieure. Dans la continuité de cet ouvrage, il part à la rencontre de personnes qui sont déjà passées à l’action et ont créé les métiers de demain, au travers du podcast 2030 glorieuses. Les 2030 glorieuses se sont ensuite déclinées avec la création d’un atelier collectif permettant aux participants de voyager dans un futur utopiste.

Pourquoi avez-vous créé les 2030 glorieuses ?

J.V : J’ai fait le constat, et ce même en parlant avec les personnes que j’invite dans mon podcast et qui ont déjà commencé à imaginer les métiers de demain, qu’il est extrêmement difficile de lever la tête, de regarder l’avenir et ses possibilités, et de choisir des futurs souhaitables. On a peur du futur, on regarde nos pieds et on est tétanisé. J’ai donc voulu créé une étincelle utopiste nécessaire à la société pour se mettre à la hauteur des enjeux. Je vois les 2030 glorieuses comme une prise d’aïkido utopiste et philosophique à nos habitudes et à nos croyances. C’est un futur où nous avons créé une société plus durable, plus juste et plus heureuse.

Quelle est la place du numérique dans ce futur utopiste ?

Le numérique a la place qu’il mérite ! On revient à la question de la fin plutôt que des moyens. C’est un outil utilisé en conscience pour servir d’autres finalités bien plus importantes comme l’éducation ou la santé. Le numérique doit nous permettre de dégager du temps pour plus de bienveillance, de contemplation, de temps réellement pour soi. On doit sortir de cette aura de fascination pour la technologie qui nous empêche de la remettre en question. C’est aujourd’hui un des maux de notre société dont découle notre incapacité à prendre des décisions collectivement.

Comment peut-on sortir de ces croyances techno-solutionnistes ?

C’est complexe, il y a tellement de ressorts utilisés qui font qu’on est complètement accro. On le voit bien avec la rapidité d’acquisition par les utilisateurs des dernières technologies (comme la sortie de ChatGPT par exemple). Malgré tout, on entend des voix qui s’élèvent pour dénoncer l’innovation pour l’innovation. Il y a deux angles sous lesquels on peut aborder le sujet : 

  • Le premier, c’est la question de la contrainte : quelles sont les limites que l’on devra tôt ou tard respecter ?

  • Le second, c’est la question de la raison : pourquoi on utilise le numérique, quelle société voulons-nous ?

De là, il faut nécessairement éduquer sur les usages du numérique, et quantifier les impacts néfastes psychologiques liés à la sur-numérisation de nos vies.

Mais parfois, j’ai l’impression qu’il faudrait un black-out généralisé pour nous sevrer.

À ce propos, peut-on faire sans le numérique sans perdre en prospérité et bien être ?

C’est vrai que l’exemple du black-out généralisé entraînerait une catastrophe humanitaire et sanitaire. La question étant de savoir si on est capable d’une prise de conscience collective avant la survenue d’un choc catastrophique, et donc d’ajuster la trajectoire pour conserver le numérique là où il est particulièrement utile, comme je le disais précédemment.
 

Il faut redonner conscience du vrai coût de cette connexion à internet : la valeur des données qu’on consomme, du matériel qu’on consomme. Il faut remettre internet dans des espaces collectifs pour se rouvrir aux autres. Pour ma part je ne serai pas choqué de revenir à une vie sans smartphone. Je crois que c’est la pression sociale qui m’empêche de réaliser une de mes envies les plus profondes : me débarrasser de mon smartphone et ressortir mon Nokia 3310 !

Pour moi, il y a plein de points d’étape par lesquels on doit passer, ce n’est ni tout blanc ni tout noir. Mais l’imperfection de la situation actuelle ne peut pas justifier notre inaction. Nous sommes toutes et tous, individuellement et collectivement, en mesure de grignoter des espaces de liberté chaque jour. C’est notamment ce que j’essaie de véhiculer dans mon dernier ouvrage, Imagine Demain.