Repenser notre rapport à la technologie et à l'énergie : interview de Loic Pérochon ; cofondateur de La Belle Tech, et créateur de la méthode TELED

La technologie est omniprésente dans notre quotidien et s’inscrit de plus en plus culturellement dans nos sociétés. Mais les solutions hyper technologiques impliquent une consommation énergétique importante. Loïc Pérochon nous parle aujourd’hui de l’alternative de la low-tech et de ses combinaisons possibles avec le numérique, et nous présente la méthode TELED pour aborder la question de l’énergie sous un angle différent.

 

Alors que les Etats Unis investissent massivement dans des méga usines de captation de CO2, nous abordons aujourd’hui le rapport de nos sociétés à la technologie et à l’énergie en compagnie de Loïc Pérochon, cofondateur de La Belle Tech, entreprise qui vise à professionnaliser les low-tech, et co-créateur de la méthode TELED. Ingénieur de formation, Loïc a commencé sa carrière dans l’industrie de l’armement et l’aéronautique. Lors d’un énième déplacement en Arabie Saoudite pour un projet d’agrandissement de l’aéroport de Djeddah il y a 8 ans, il découvre que le chantier sur lequel il travaille a recours à des travailleurs forcés. De retour en France, il réoriente ses activités et devient consultant indépendant en écoconception et en transition écologique et énergétique au service des industriels et notamment des PME.

Qu’est-ce que la low-tech ? 

L.P : C’est une technologie qui est utile, accessible et durable. Utile car elle répond à un besoin réel de l’humanité (se loger, se nourrir, s’habiller…). Accessible à la fois en matière de complexité : l’objectif est de favoriser l’autonomie dans la production, l’utilisation et la maintenance de l’équipement, et également accessible financièrement. Enfin durable car sobre en ressources et en énergie, avec une durée de vie étendue notamment grâce à la facilité de réparation, et avec une intensification de l’usage au cours de la vie de l’équipement.

 Que fait-on aujourd’hui avec les low-techs, et que pourrait-on faire ? 

L.P : On n’en fait pas assez. Malheureusement, les low-techs sont aujourd’hui trop absentes de notre quotidien, à l’exception du vélo. On peut pourtant répondre à beaucoup de besoins essentiels avec la low-tech, nous avons d’ailleurs plusieurs exemples de projets en développement sur le territoire :

A Rouen, la société Human mob développe le Waylibus, un vélo collectif destiné au transport collectif d’enfants (1 adulte et 8 enfants), avec l’association professionnelle Next Move qui regroupe les acteurs de la mobilité en Normandie et notamment les industriels de l’automobile. C’est un projet qui permet d’amener doucement vers la low-tech des acteurs très tournés vers la high tech.

Chez La Belle Tech, nous travaillons à un modèle de rocket stove destiné à un usage professionnel. C’est un équipement très répandu dans les milieux de la low-tech et de l’auto-construction car c’est très accessible. Le problème est que l’auto construction amène beaucoup de barrières pour un usage professionnel, aussi bien d’un point de vue réglementaire qu’assurantiel.

Il s’agit d’un poêle à bois avec un niveau de rendement extrêmement élevé (90%). Notre modèle est un poêle multifonction modulable à destination des professionnels de la restauration qui sera certifié CE. (Nous cherchons d’ailleurs 5 partenaires sur le territoire (traiteurs évènementiels, restaurants, collectivités…) à qui mettre à disposition gratuitement un exemplaire afin de le tester en conditions réelles.)

Beaucoup de principes des low-techs sont semblables à ceux de l’économie circulaire : on essaie de créer un maximum de valeur à partir des ressources et de l’énergie qu’on utilise.
 

Le numérique et la low-tech semblent assez antinomiques, comment peuvent-elles coexister ?

L.P : Comme l’écrit Arnaud Crétot dans son livre  “La Boulangerie Solaire”, il y a une première question à se poser qui est celle de la projection dans le temps. On pense souvent à ce qu’on va laisser à nos enfants quand on parle d’un monde durable. Mais si on dépasse un peu cet horizon et qu’on se projette dans un temps long, quelles technologies seront encore utilisables en l’état dans 1000 ans ? C’est le cas du vélo par exemple, mais je ne suis pas sûr que ce soit le cas du smartphone.

Mais pour moi, les high techs ont un rôle à jouer pour basculer vers un monde plus low-tech. Elles peuvent notamment faciliter l’adoption de celles-ci en ajoutant des fonctionnalités permettant de rassurer les utilisateurs. Si on reprend l’exemple du vélo collectif : les parents trouvent ça génial mais ne veulent pas y mettre leurs enfants dans un environnement qui est souvent peu propice. La géolocalisation peut permettre de convaincre certains parents qui pourront alors connaître en temps réel la position de leur enfant. Lorsque la société se sera approprié culturellement ce mode de transport, la géolocalisation ne sera peut-être plus utile.

Par ailleurs, le numérique peut adopter les principes de la low-tech, notamment en matière de sobriété énergétique, en posant les questions différemment. Si on prend l’exemple du stockage, au lieu de se demander comment stocker toutes ces données, on peut se demander pourquoi on a besoin de stocker ?

On a bâti nos systèmes industriels, productifs et économiques sur une énergie continue, disponible tout le temps. Si on prend l’exemple des data centers, et de l’alimentation par du photovoltaïque, plutôt que de chercher à stocker l’électricité avec des batteries pour faire fonctionner les serveurs 24h/24, pourquoi ne pas éteindre certaines infrastructures la nuit ? Certains sites, ne relevant pas d’un caractère d’urgence, ne seraient ainsi accessibles que le jour.

Certains sites, ne relevant pas d’un caractère d’urgence, ne seraient ainsi accessibles que le jour.

En parlant d’énergie, vous avez créé la méthode TELED, pouvez-vous nous en dire plus ?

J’ai traduit en langage industriel ce qu'a fait Arnaud Crétot sur ses activités de boulangerie et torréfaction solaire en Normandie. Il a démontré via son entreprise NeoLoco que l’activité était rentable et pérenne, y compris en période de forte fluctuation des coûts de l'énergie. Nous faisons le constat aujourd’hui que toutes les énergies sont au moins en partie intermittentes, pour différentes raisons. TELED, pour Tâches Energivores Lorsque l’Energie est Disponible, est une méthode permettant de paramétrer des flux de production et d'informations en tenant compte des contraintes d’une énergie intermittente. Nous avons traduit les principes de l’activité de NeoLoco à d’autres usages industriels, et modélisé des leviers économiques permettant de s’adapter.

Au-delà de son application en milieu industriel, c’est aussi une autre manière de raisonner et d’aborder notre rapport à l’énergie. Cette méthode peut donc être utile dans le numérique, en pilotant de façon discontinue les usages qui sont les moteurs de la consommation énergétique.

Une journée de formation à la méthode TELED est organisée le 26 septembre prochain à Saint Etienne du Rouvray. L’inscription se fait via notre page LinkedIn.