Mieux comprendre le design de l’attention et les dark patterns : Interview de Flora Brochier des Designers Éthiques

Est-on maître de nos choix sur internet ? Portée à l’état de science, la captologie est l’art de capter l’attention de l’utilisateur et d’influencer ses décisions, habilement utilisée par les designers de services numériques. Flora Brochier nous donne les clés pour mieux comprendre ces mécanismes et éviter de tomber dans ses travers dans nos conceptions.

 

Qui de mieux placé pour nous parler du design de l’attention qu’une designeuse ? Flora Brochier l’est effectivement de formation. Elle s’est rapidement intéressée au sujet de l’éthique et de l’écologie dans le design. Après 2 ans passés en Inde, à réfléchir sur le sens du mot responsable, aux questions autour de la manipulation, elle revient en France où elle s’engage au sein de l’association Designers Ethiques, en parallèle de son activité de designeuse UX (Expérience utilisateur) indépendante.

Elle fait partie du programme de recherche de l’association sur le design persuasif depuis un an et demi et a dirigé la rédaction du guide de l’association intitulé “Concevoir sans dark patterns”.

 

Qu’est ce le design de l’attention ? 

Flora Brochier (F.B) : Il y a plusieurs définitions importantes dans le domaine de l’UX.On parle notamment du design persuasif et du design de l’attention. Le design persuasif est une méthode de design UX qui vise à orienter les choix de l’utilisateur. Le design de l’attention se focalise lui sur la captation de l’attention. Le plus souvent par un système d’intérêt et de récompense. Des sites comme Instagram qui utilisent par exemple un système d’affichage aléatoire type “machine à sous” vous poussent à continuer à regarder la suite en espérant arriver sur un contenu intéressant. C’est tout l’objectif de ces plateformes qui monétisent notre attention, soit par l’exposition de publicités et/ou par le recueil de données personnelles et de réactions (sur quoi on va cliquer, ce qu’on va aimer, commenter, etc..). Le système va ensuite un peu plus nous maintenir attentifs par l’utilisation de ces mêmes données en personnalisant les recommandations de contenu. L’émission Dopamine sur Arte explique très bien ces différents processus.

 

Que sont les dark patterns ?

F.B. : Les dark patterns sont une dérive du design persuasif, c’est une persuasion déloyale. L’idée est de pousser l’utilisateur à faire des choix qu’il ne ferait pas naturellement, tels que : 

  • Donner des informations personnelles
  • Consommer plus
  • Rester plus longtemps sur le service

Il y a forcément une question de proportion et de gravité, car le design persuasif vise bien sûr à orienter les choix de l’utilisateur.

Par exemple, les plateformes de réservation de transport ou d’hébergement qui indiquent qu’il ne reste plus que x places/chambres disponibles sont des dark patterns si l’information est mensongère.

L’Union Européenne a récemment ouvert une enquête contre X (anciennement Twitter) dans le cadre du Digital Services Act (DSA), notamment pour manipulation de l’information : les comptes vérifiés du réseau social l’étaient auparavant suite à un travail de modération. Ce statut de compte vérifié est désormais un service achetable par l’utilisateur, ce qui ne présage plus du tout de la qualité de l’information consultée par les utilisateurs.
 

Le guide “concevoir sans dark patterns” traite-t-il uniquement des dark patterns ?

F.B. : Pas du tout ! Les dark patterns sont un des sujets traités par le guide, mais il aborde tous les sujets du design persuasif, du design de l’attention, de la question du libre arbitre.

C’est un recueil de bonnes pratiques pour les designers et les professionnels de la conception numérique, utilisable à chaque étape de la conception d’un service numérique. Il reprend aussi les erreurs à éviter et liste des arguments pour convaincre sa hiérarchie de l’importance de la démarche.

 

Auriez-vous quelques exemples de bonnes pratiques à nous partager ?

F.B. : Le premier conseil que j’aime partager est un peu à contre courant de “l’expérience utilisateur” la plus simple et fluide possible : il faut revenir un peu en arrière et remettre un peu “d’effort” dans le parcours de l’utilisateur, ajouter de la friction aux endroits clés pour rendre visible et mesurable les décisions impactantes que l’utilisateur va prendre dans son parcours. Tout l’inverse du “Acheter en 1 clic”. (Plus de détails dans la partie 5 du guide). 

La deuxième bonne pratique que je donne est d’éviter de conditionner l’affichage d’un élément en échange de la divulgation de données personnelles. (Plus de détails dans la partie 6.1 du guide). 

Avec le temps passé devant nos écrans et notre attention qui diminue, il est important qu’on reprenne le contrôle de nos choix, et qu’on sorte de cet univers contrôlé par des algorithmes de recommandation qui nous maintiennent dans des bulles de filtre.

 

Quels sont les travaux en cours sur la thématique au sein des Designers Éthiques ?

F.B. : Nous travaillons actuellement sur une nouvelle matrice persuasion / dark patterns avec pour objectif de proposer des alternatives aux éléments de conception dominants. L’outil devrait être disponible courant 2024 !