Comment le numérique nous aide-t-il à comprendre les conséquences du dérèglement climatique, à l’atténuer et à s’y adapter ?

Léo Kazmierczak, chargé de projet climat à la Métropole Rouen Normandie, nous partage les apports du numérique dans la démarche de lutte contre le dérèglement climatique engagée lors de la COP21 locale en 2018 avec la création du GIEC de la métropole.

Léo Kazmierczak est chargé de projet climat à la Métropole Rouen Normandie depuis 2019. Il a notamment contribué à la réalisation du bilan carbone de la métropole, au suivi du PCAET (Plan climat air énergie territorial), des travaux sur la qualité de l’air et il coordonne et anime les études du GIEC de la Métropole Rouen Normandie, présidé par Benoit Laignel, Professeur en Géosciences à l’Université de Rouen et également co-président du GIEC Normand.

De manière générale, que nous apporte le numérique dans la lutte contre le dérèglement climatique ?

Léo Kazmierczak (L.K) : À notre échelle, le plus gros apport du numérique aujourd’hui c’est la donnée. Nous avons énormément de données disponibles qui nous permettent de mieux modéliser, mieux cartographier, et ainsi d’amener plus d’éléments factuels pour faciliter les prises de décision. Ceci est facilité par l’ouverture des données. Beaucoup d’acteurs dont l’accès à la donnée était restreint, voire payant, ont développé leur ouverture au public. C’est notamment le cas des données de Météo-France.

À ce sujet, comment utilisez-vous ces données pour comprendre les conséquences locales du changement climatique ?

L.K : Nous utilisons par exemple les informations de Météo France pour avoir accès aux données historiques en termes de température, de précipitations, de vitesse du vent, mais également aux données de projections. En croisant ces données avec d’autres comme celle de DRIAS les futurs du climat qui réalise des projections régionalisées, on arrive à affiner notre compréhension de la situation et les tendances futures.. Combinés à des données spécifiques telles que les études du BRGM (Bureau de recherches géologiques et minières) sur le retrait gonflement des argiles, on arrive par exemple à obtenir des informations précises sur des niveaux de vulnérabilités, dans ce cas précis pour les maisons individuelles, qui nous permettent d’identifier les zones à haut niveau de risque. Cela permet également de croiser des impacts environnementaux avec des impacts économiques: on récupère ainsi des données de l’observatoire national des risques naturels sur le coût des inondations par commune, élément souvent très parlant pour les élus des communes particulièrement exposées.

Concernant les efforts d’atténuation du changement climatique, avez vous recours à des données spécifiques ?

L.K : Oui, nous utilisons principalement les données de l’ORECAN (Observatoire régional Energie Climat Air de Normandie) qui renseignent les données d’émissions de gaz à effet de serre, de consommation d’énergie, d’émissions de polluants atmosphériques à l’échelle de la métropole afin de suivre l’avancement de nos efforts par rapport aux objectifs fixés dans le PCAET. Ces données sont d’ailleurs partagées publiquement sur le portail open data de la métropole.

Et quels sont les usages du numérique pour l’adaptation au changement climatique ?

L.K : Pour commencer, toutes les informations dont nous disposons pour comprendre les vulnérabilités nous permettent de prendre de meilleures décisions. Ensuite les avancées en termes de modélisation, d’images satellites et de possibilités de cartographie nous permettent d’avoir beaucoup plus de précision dans la compréhension de certains phénomènes. C’est notamment le cas pour une dernière étude sur les îlots de chaleur urbain, dont les résultats ont été présentés le 17 mai. Le cabinet d”études Soleneos qui nous a accompagnés a ainsi pu modéliser la contribution de 11 quartiers du territoire au phénomène d’îlot de chaleur urbain. Cette modélisation a ensuite été extrapolée à l’ensemble du territoire métropolitain aboutissant à une cartographie globale qui sera intégrée à la révision du SCOT (Schéma de Cohérence Territoriale) valant PCAET, et sera probablement utilisable pendant plusieurs années.

N.D.L.R. : Le numérique permet également de favoriser la sensibilisation aux enjeux d’adaptation, comme par exemple cette vidéo en réalité virtuelle réalisé par le CIREVE de Caen qui reproduit les effets d’une tempête de février de 1990 avec une élévation de 1 mètre du niveau de la mer, tel que projeté en 2100, dans une rue d’Etretat.

Rencontrez-vous des freins dans l’utilisation du numérique pour ces différents travaux ?

L.K : La principale difficulté est qu’il n’y a pas vraiment de centralisation de la donnée en France aujourd’hui, ce qui nécessite un véritable travail de fourmi de collecte, de traitement et d’analyse  des données. Il y a des initiatives intéressantes pour répondre à cet enjeu comme l’Observatoire des territoires, mais certaines informations sont encore parfois très parcellaires, notamment sur un sujet comme la biodiversité dont les enjeux sont au moins aussi importants et en interaction directe avec ceux du changement climatique.